Atelier d'écriture

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Cet été-là

Cet été-là, Johnny Hallyday chantait « Requiem pour un fou » et mon père chantait Johnny.

Dans la voiture. Dans la maison.

Le matin. Le soir.

Tout au long du jour jusqu’au seuil de la nuit, je l’entendais

 

« Je n’étais qu’un fou mais par amour

Elle a fait de moi un fou, un fou d’amour

Mon ciel c’était ses yeux, sa bouche

Ma vie c’était son corps, son cœur

Je l’aimais tant que pour la garder, je l’ai tuée

Pour qu’un grand amour vive toujours

Il faut qu’il meure, qu’il meure d’amour

Je ne suis qu’un fou, un fou d’amour

Un pauvre fou qui meurt

Qui meurt d’amour ».

 

Et à la fin de l’été, nous chantions tous Johnny.

Mon père montait le son. Il se mettait à danser.

Le souvenir inoubliable d’un homme libre et heureux.

 

Cet été-là, nous sommes partis en vacances.

Comme chaque été. Le Sud. Sainte maxime.

Un petit village qui se dresse en plein midi.

C’est à la Madrugade, dans cette villa perchée sur les collines, sous le chaud soleil provençal, que se sont dessinés les plus beaux paysages de mon enfance.

Je vois d’abord les oliviers, cachés derrière la maison et j’entends encore le chant des cigales. A côté, un escalier qui mène à une vue sur les collines et la Méditerranée. Je vois ensuite les tuiles roses et les murs couleurs de miel sur lesquels de petits lézards gris boivent le soleil.                                                                                                   Dans l’entrée, un figuier orne la terrasse. En face, une fontaine en pierre où l’eau s’écoule d’une tête de lion. Les lettres de la Madrugade sont écrites en noires sur le muret du portail. Son accès délivre des parfums de thym et de lavande qui embaument chaque pièce de la maison et annoncent les premiers jours de l’été.

 

Cet été-là, j’avais quinze ans.

Je vivais mon premier chagrin d’amour.

Une rupture. Une séparation. Une lettre m’annonçant qu’il quittait la France pour retrouver son père.

Des mots d’amour. Des mots d’adieu.

Et le désir. De se retrouver. De toujours s’aimer. De nous écrire.

Une correspondance amoureuse pour promesse de retrouvailles.

C’est à la Madrugade que j’ai écrit ma première lettre d’amour. C’est aussi à la Madrugade que j’ai reçu ma première lettre d’amour.

Nous nous sommes écrit pendant cinq ans. Cinq merveilleuses années. Cinq années où l’attente de ses lettres était un moment délicieux. Il m’est arrivé quelques fois d’attendre encore quelques jours avant de les lire.

Cet été-là, j’ai pensé comme lui que cette correspondance durerait toute notre vie.

L’innocence. La magie de l’enfance.

Je ne l’ai jamais revu. Je ne l’ai pas oublié.

Il était mon premier amour, mon premier baiser, mes premiers émois, mes premières caresses.

C’est avec lui que tout a commencé. Inoubliable donc comme le sont tous les premiers amours.

 

Cet été-là, mon père me raconta sa plus belle histoire d’amour.

Sa rencontre avec ma mère. A Rennes. Un soir d’hiver.

 

_J’avais vingt et un an. J’étais musicien. Guitariste. Pour gagner un peu d’argent, je donnais quelques concerts dans des bars au quartier Saint Melaine. Sur le chemin, j’ai aperçu la silhouette de ta mère sortant de la bibliothèque municipale, rue de la Borderie. Elle était tellement belle. Je l’ai suivie jusque chez elle. Je l’aurais suivie n’importe où.

Ce soir-là, je n’ai pas osé lui parler. J’ai eu peur. Je me suis senti idiot. Elle sortait de la bibliothèque et moi, je n’avais jamais ouvert un livre de ma vie.

Je ne suis pas allé au concert. Je suis rentré et j’ai composé une musique pour elle.

J’y suis retourné le lendemain et j’ai joué devant sa fenêtre. J’ignorais si elle était là et si elle m’entendait.

J’y suis retourné le jour suivant avec une nouvelle musique. Puis le jour suivant. Et encore le jour suivant.

Encore. Encore. Encore

Chaque jour une musique différente.

Un soir d’été, le 8 juillet 1973, ta mère m’a laissé rentrer. Je ne suis jamais reparti. J’étais enfin là où je devais être.

 

 

Cinq ans plus tard, j’ai appris par ma mère que mon père avait un peu romancé leur histoire.

Leur rencontre eu lieu dans un des bars où mon père donnait ses concerts. A Rennes. Un soir d’hiver.

Des regards. Des baisers. Une nuit d’amour.

Le lendemain, mon père n’était plus là. Parti. Sans un mot.

Elle l’a attendu.

Elle est retournée le soir dans ce bar.

Le lendemain. Le jour suivant. Puis le jour suivant. Et encore le jour suivant.

Encore. Encore. Encore.

Le 8 juillet 1973, il était là. Nouveau concert. Nouvelle musique.

Il n’est jamais reparti. Ils ne se sont plus jamais quittés.

 

Cet été-là, je retrouvais souvent ma mère dans la bibliothèque de la Madrugade. Nous lisions toutes les deux l’une à côté de l’autre. Balzac, Flaubert, Aragon. Je me rappelle ce poème de Victor Hugo. Elle le découvrait chaque jour.

 

« Aimons toujours ! Aimons encore !

Quand l’amour s’en va, l’espoir fuit.

L’amour, c’est le cri de l’aurore,

L’amour, c’est l’hymne de la nuit.

 

Ce que le flot dit aux rivages,

Ce que le vent dit aux vieux monts,

Ce que l’astre dit aux nuages,

C’est le mot ineffable : Aimons !

 

L’amour fait songer, vivre et croire.

Il a pour réchauffer le cœur,

Un rayon de plus que la gloire,

Et ce rayon, c’est le bonheur !

 

Aime ! qu’on les loue ou les blâme,

Toujours les grands cœurs aimeront :

Joins cette jeunesse de l’âme

A la jeunesse de ton front !

 

Aime, afin de charmer tes heures !

Afin qu’on voie en tes beaux yeux

Des voluptés intérieures

Le sourire mystérieux !

 

Aimons-nous toujours davantage !

Unissons-nous mieux chaque jour.

Les arbres croissent en feuillage ;

Que notre âme croisse en amour !

 

Soyons le miroir et l’image !

Soyons la fleur et le parfum !

Les amants, qui, seuls sous l’ombrage,

Se sentent deux et ne sont qu’un !

 

Les poètes cherchent les belles.

La femme, ange aux chastes faveurs,

Aime à rafraichir sous ses ailes

Ces grands fronts brûlants et rêveurs.

 

Venez à nous, beautés touchantes !

Viens à moi, toi, mon bien, ma loi !

Ange ! viens à moi quand tu chantes,

Et, quand tu pleures, viens à moi !

 

Nous seuls comprenons vos extases.

Car notre esprit n’est point moqueur ;

Car les poètes sont les vases

Où les femmes versent leurs cœurs.

 

Moi qui ne cherche dans ce monde

Que la seule réalité,

Moi qui laisse fuir comme l’onde

Tout ce qui n’est que vanité,

 

Je préfère aux biens dont s’enivre

L’orgueil du soldat ou du roi,

L’ombre que tu fais sur mon livre

Quand ton front se penche sur moi.

 

Toute ambition allumée

Dans notre esprit, brasier subtil,

Tombe en cendre ou vole en fumée,

Et l’on se dit : « Qu’en reste-t-il ? »

 

Tout plaisir, fleur à peine éclose

Dans notre avril sombre et terni,

S’effeuille et meurt, lys, myrte ou rose,

Et l’on se dit : « C’est donc fini ! »

 

L’amour seul reste. O noble femme

Si tu veux dans ce vil séjour,

Garder ta foi, garder ton âme,

Garder ton Dieu, garde l’amour !

 

Conserve en ton cœur, sans rien

craindre,

Dusses-tu pleurer et souffrir,

La flamme qui ne peut s’éteindre

Et la fleur qui ne peut mourir !

 

C’est cet été-là qu’a commencé mon attachement pour la littérature, pour les mots, les mots d’amour. J’en écrivais certains dans des carnets que je gardais précieusement. Je les relisais dans des moments de tristesse, de désespoir. Ces mots me protègent et m’accompagnent toujours. Ils me rappellent ces journées d’été à la Madrugade.

 

Cet été-là, nous nous sommes beaucoup rapprochés mon père et moi. Ensemble, nous empruntions le chemin côtier. Souvent, nous nous arrêtions. Nous ne parlions pas. Nous ne bougions pas. Nous regardions la mer briller. Deux corps silencieux. J’aimais sa compagnie. Il aimait la mienne.

 

Ma mère ne le supportait pas. Notre complicité. Elle ne l’acceptait pas.

 

Cet été-là, je ne la comprenais pas et pourtant je l’aimais.

 

 

 

                                                                                                                                                                                            

 

 

 

 



24/04/2019
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